SENZA CENSURA N.25
mars 2008
LES RETRAITES
Bien que centrée cet automne sur certains « régimes spéciaux » de retraite, cette attaque du capital n’est qu’une partie d’un problème plus vaste : réduire tout ce qui concerne le salaire différé pour accroître la part de plus value extorquée par le capital sur le travail. Bien que centrée sur les régimes spéciaux de retraite de la SNCF et de la RATP, cette réforme vise aussi les travailleurs des trusts nationaux EDF et GDF et d’autres régimes spéciaux de retraite (comme les Opéras de Paris) mais laisse de côté bon nombre de régimes spéciaux de retraite peut être moins importants par le nombre mais plus par les privilèges qu’ils impliquent (flics, militaires, parlementaires, etc....). Concernant des points déjà imposés au régime général (durée de cotisation de 40 années au lieu de 37,5 années et l’âge de la retraite -60 ans) ces luttes, bien que spécifiques ont pu apparaître comme une tentative de remise en cause des réformes antérieures de ce régime général de retraites. En 1995, le gouvernement avait dû céder devant l’ampleur de la lutte sur cette question d’âge de la retraite pour les services publics et beaucoup avaient pu penser que l’échec de cette attaque marquerait un coup d’arrêt vers une réforme plus globale. Pourtant, une brèche avait déjà été ouverte par la réforme Balladur de l’été 1993 qui avait, sans que cela provoque de réactions, porté à 40 années (et plus dans l’avenir) la durée de cotisations. De plus c’était aussi ignorer que dans la lutte de classe, il n’y a jamais de victoire définitive tant que le système capitaliste reste en place et que celui-ci revient à la charge pour parvenir à ses fins, attendant le moment propice et élaborant des stratégies tenant compte des données des luttes antérieures. En 2003, une attaque sur le régime général et sur celui des fonctionnaires alignés plus ou moins sur le secteur privé n’avait pas concerné les régimes spéciaux. Le gouvernement avait pris soin de préciser que sa réforme ne mettait nullement en cause les « régimes spéciaux », ceux qui précisément pour les plus importants disposaient d’un pouvoir effectif : l’énergie et les transports. Se fiant aux promesses, ces secteurs n’avaient pas bougé : malgré l’importance du mouvement notamment chez les enseignants, la lutte s’éternisa sans effet durant plusieurs mois ne trouvant pas l’appui que des secteurs clés de l’économie pouvait lui apporter.
Cet échec et ce défaut de solidarité - tout comme la croyance dans les promesses du pouvoir -pèseront lourd dans la grève de 2007. Ce sont les régimes spéciaux qui sont en cause. Il serait trop long d’exposer ici les arrière-plans d’une réforme comptable européenne qui contraint les sociétés nationales concernées à constituer des caisses de retraite distinctes ce qui est l’occasion, d’une part à travers leurs financement de réformer les conditions d’obtention de la retraite, d’autre part de diviser les travailleurs des différentes sociétés, le cas d’EDF -GDF ayant été pratiquement réglé avant l’attaque sur la SNCF et le RATP qui avec les Opéras de Paris resteront les seuls à tenter de s’opposer à la réforme. Alors que pour les travailleurs de ces sociétés, la durée de cotisations est encore de 37,5 années et que l’âge de départ en retraite peut varier de 50 à 60 ans selon les cas, le gouvernement veut aligner la durée de cotisations sur 40 années, l’âge de départ sur 60 ans et modifier également les bases salariales d’évaluation du montant de la retraite et celles de son indexation. Il affirme en outre d’emblée que ces projets ne sont pas discutables ne laissant au champ de la négociation que des aménagements des diminution de retraite en cas d’anticipation ( sur la durée et l’âge) ( réduction baptisée « décote ») et des adaptations de détails pour des catégories très limitées
Les luttes antérieures .et la détermination de la base devant ce diktat gouvernemental impose à six fédérations syndicales de montrer un minimum d’opposition : ils lancent un préavis de grève de 24 heures pour le 18 octobre. Trois syndicats Sud-Rail (second syndicat à la SNCF), FO et la FGAAC (syndicat professionnel regroupant 30% des agents de conduite), tenue à l’écart, s’associent à cette grève mais en la déclarant « reconductible ». La grève est très suivie (au moins 80% des travailleurs) ; les manifestations le sont moins (il est manifeste qu’il y a déjà un frein syndical et relativement peu d’adhésion des travailleurs des autres secteurs). Devant l’opposition des « grands » syndicats, la reconduction , effective dans certains secteurs, s’amenuise alors que la FGAAC passe un accord distinct avec le gouvernement sur les modalités d’application de la réforme aux conducteurs et considère que , quant à elle, le mouvement est terminé.
C’est alors que d’autres grandes manœuvres se précisent pour briser la pression de la base. Le 6 novembre, Les mêmes fédérations syndicales lancent pour la 13 novembre un préavis de grève reconductible par périodes de 24 heures. Le gouvernement annonce des aménagements quant à l’application progressive de la durée de cotisation et propose des discussions distinctes entreprise par entreprise. Le 9 novembre, le leader de la CGT abandonne la position de refus de discussion tant que les points « non négociables » ne font pas partie de la négociation pour accepter non seulement de discuter sans préalable (ce qui signifie l’acceptation du principe de la réforme) mais aussi entreprise par entreprise (ce qui signifie la division du front de lutte). Le 12 novembre, la veille de la grève, le gouvernement renvoie l’ascenseur en acceptant les propositions CGT en précisant qu’un délai d’un mois sera nécessaire pour mener à bien les négociations, ce que les autres « grands » s’empressent d’accepter. De chaque côté des dirigeants, on s’efforce de ne pas perdre la face. Sarkozy qui se drapait dans la position « pas de discussion tant que la grève n’est pas annulée » accepte de discuter « avec un geste vers la reprise du travail »
Malgré ces manœuvres il leur est bien difficile de suspendre la grève sous peine de se heurter à des réactions de base imprévisibles : le mieux est bien sûr de faire de telle sorte qu’elle échoue, ce qui semble, a posteriori partie d’une stratégie pouvoir et syndicat de plus longue portée. .La grève débute comme prévu le 13 novembre : elle est particulièrement suivie aussi bien à la SNCF qu’à la RATP et elle est reconduite les jours suivants par une bonne partie des assemblées générales quotidiennes bien qu’il soit difficile de dire dans les communiqués contradictoires de connaître le nombre de grévistes : pourtant deux faits s’imposent la grève perdure de jour en jour et les transports ferroviaires nationaux comme les transports parisiens sont totalement désorganisés.
Alors que les « grandes centrales » espéraient qu’elle durerait peu, la grève se prolonge et même franchit le cap souvent difficile dans toute grève du week-end du 17-18 novembre., amorçant ainsi la jonction avec la grève des fonctionnaires ( contre les réductions d’effectifs et les salaires) prévue pour le mercredi 21 novembre. Mais en même temps, les manœuvres syndicales continuent : la CFDT cheminots se retire de la grève le 16 novembre mais dépose un préavis de grève pour le 20 novembre. Le lundi 19 novembre, est annoncée une table ronde pour le 21 au siège de la SNCF en considération du fait qu’il y aurait « davantage de trains et de métro qui reprennent. »
Le 21 novembre il semble que près des ¾ des cheminots sont en grève ; mais la manifestation commune des fonctionnaires et des travailleurs encore en grève est manifestement organisée de telle façon qu’elle ne donne pas une impression d’un mouvement de masse et ne « dégénère » pas ; le leader de la CFDT, Chérèque est pratiquement exclu du cortège et Thibault s’éclipse prudemment avant la fin. Non seulement tout est fait pour minimiser l’impact de cette journée, mais, comme c’est souvent le cas, une large journée de grève sans suite débranche la combativité des mouvements plus spécifiques qui s’y étaient trouvés associés. De fait, à partir du jeudi 22 une lente reprise s’amorce dans laquelle s’associe le pilonnage médiatique, les manipulations des assemblées et les obstacles mis par les bureaucraties syndicales à des tentatives de coordination entre les assemblées forcément localisées. Le week-end suivant, tout est redevenu « normal » tant à la SNCF qu’à la RATP.
Les discussions dans les commissions d’entreprise peuvent se dérouler sans heurts. La CGT tentera même de faire croire à ses préoccupations quant au mouvement de base en lançant un préavis de grève pour une journée de grève à la SNCF, préavis qu’elle annulera la veille du jour fixé en raison de l’opposition de sa propre base écoeurée par tout ce qui vient de se dérouler et est sans équivoque pour l’ensemble des travailleurs. Le 25 novembre, un journal financier anglais, le Financial Times peut écrire que « Sarkozy a ostensiblement dîné avec les leaders du mouvement syndical pour les persuader des besoins d’une réforme générale ». D’autre propos sont aussi rapportés par la presse sur une parole de Sarkozy « Il faut sauver le soldat Thibault » et que les radicalisme de Sud a eu un bon côté car « cela valorise les réformateurs » y ajoutant un hommage au « sens des responsabilités dont ont fait preuve les grandes organisations syndicale ». Aussi les propos du ministre du travail que « Mieux vaut Thibault pour négocier que des radicaux ou des coordinations incontrôlables ». Et le premier ministre surenchérit en clamant qu’il y a eu finalement une « gestion presque parfaite de la crise des régimes spéciaux ».Tout cela annonce ce qui va suivre, toujours les retraites avec le passage aux 41 années, la réforme totale du code du travail et la question de la représentativité syndicale. On peut s’interroger sur différents points que soulève le déroulement de la lutte qui vient d’être exposé :L’attitude des syndicats est peut être classique avec pas mal de précédents historiques ; mais leur « docilité » vis-à-vis du pouvoir - la représentation du capital- dans la réorganisation globale du système de gestion du capitalisme français pour l’adapter aux nécessités du super Etat européen et des besoins du capital mondial, vise à la préservation de leurs positions de médiations dans les relations de travail. C’est de cela dont ils discutent avec le pouvoir autant que des réformes. Le rôle des syndicats radicaux comme Sud, en polarisant les oppositions n’a-t-il pas finalement pour fonction objective d’empêcher la formation d’organisations autonome de lutte comme les coordination ou toute autre forme de lutte. D’une certaine façon, ils réintroduisent, même avec leur spécificité syndicale les travailleurs combatifs dans le circuit de médiation qui reste le justification et la fonction du syndicat, radical ou pas.Le développement d’un mouvement de grève que pas mal de travailleurs pouvaient voir comme l’amorce d’un mouvement de résistance plus global, n’a-t-il pas été provoqué et organisé de telle façon qu’il ne se développe pas et que son échec serve non seulement de contre-feux à un mouvement sauvage de grande ampleur par la charge de découragement que cet échec implique.
Par “Echanges et mouvements”.
Tiré de “Dans le Monde, une Classe en Lutte”, decembre 2007, www.mondialisme.org
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